[CRITIQUE] : Sirât

Réalisateur : Óliver Laxe
Avec : Sergi López, Bruno Núñez Arjona, Richard Bellamy, Stefania Gadda,...
Distributeur : Pyramide Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Espagnol, Français.
Durée : 1h55min
Synopsis :
Au cœur des montagnes du sud du Maroc, Luis, accompagné de son fils Estéban, recherche sa fille aînée qui a disparu. Ils rallient un groupe de ravers en route vers une énième fête dans les profondeurs du désert. Ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante d’un miroir de sable qui les confronte à leurs propres limites.
Vouloir s'immerger dans une séance aussi volontairement inclassable que Sirât, estampillé troisième long-métrage du cinéaste franco-galicien Óliver Laxe, c'est accepter d'être furieusement bousculé, d'être confronter à un vertige radical, fiévreux et imprévisible, un road movie apocalyptique et infernal sous fond de confrontation frontale et organique entre l'Occident et le reste du monde dans une nature que l'on secoue, bafoue mais à qui l'on ne doit jamais rappeler qu'elle n'aime pas être dominée.
Confrontation flanquée dans futur (très) proche sur laquelle Laxe juxtapose - un temps - un autre drame, plus intime et familial (mais surtout faussement conventionnel), celui d'un père accompagné de son fils (Luis et Esteban), décidés à retrouver leur fille/sœur, Mar, disparue cinq mois plus tôt, dans une rave là aussi en plein désert.
Une quête désespérée dont l'issue paraît courue d'avance mais sert d'espoir et, de facto, de moteur prétexte à une narration rutilante qui va mener ce duo, accompagné d'une petite bande de ravers aux existences cabossés (une vérité marquée sur leurs corps), vers une autre rave, encore plus isolée au milieu de nulle part, à la frontière entre le Maroc et la Mauritanie.
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De mélancolique et minimaliste ode à la rencontre humaine de deux mondes, l'expérience via la puissance d'une séquence charnière et dévastatrice (mais pourtant expéditive, renforçant de facto le choc qu'elle suscite), quitte très vite le bord du précipice avec lequel elle flirtait depuis le départ pour embrasser l'irrationnel et littéralement basculer dans les abîmes, de ceux où l'on ne voit jamais réellement le bout du tunnel, et encore moins le tunnel lui-même, une prison à ciel ouvert et sous un soleil de plomb, embaumée dans sable brûlant et omniprésent, presque tout aussi infini que le territoire où il s'étend et dans lequel se perdre - à tous les niveaux - est inéluctable, comme la mort et cette certitude persistante et lucide qu'il n'y a rien derrière.
Comme si Le Salaire de la Peur de Henri-Georges Clouzot (avec un doigt du Gerry de Gus Van Sant, voire vaguement du Mad Max : Fury Road de George Miller) était remaké par un Pasolini des grands jours, dont l'extase - et le regard politique acéré - vient envahir comme saturer les corps et tous les recoins de l'écran, où les excès de violences brutaux et arbitraires (métaphores évidente des victimes collatérales de tout conflit militaire) ne sont pas tant le fruit d'un sadisme jouissant du cinéaste face à la douleur du corps et de l'âme, mais bien celui d'une envie pieuse de sonder le sentiment d'impuissance face à la vie, la norme, la culpabilité où même la disparition déchirante d'un être cher, en poussant chaque personnage jusqu'aux limites du supportable - tant sur le plan psychologique que physique et existentiel.
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Est-il encore possible de suivre le droit chemin vers le salut, de se connecter aux autres autrement que dans le chagrin et la douleur, dans un monde en pleine implosion et sans rien d'heureux ni de clair, à l'horizon ?
La réponse d'Óliver Laxe est dans la question - survivre, parce qu'il n'y a que ça à faire si l'on ne meurt pas -, lui qui croque une œuvre formidablement dense et surréaliste, à la fois troublante et douloureuse, nihiliste et compulsive à la B.O démente.
Un vrai choc de cinéma, rien de moins.
Jonathan Chevrier