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[CRITIQUE] : Alpha


Réalisatrice : Julia Ducournau
Acteurs : Mélissa Boros, Tahar Rahim, Golshifteh Farahani, Emma Mackey,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 2h08min

Synopsis :
Alpha, 13 ans, est une adolescente agitée qui vit seule avec sa mère. Leur monde s’écroule le jour où elle rentre de l'école avec un tatouage sur le bras.




La réception tiède, pour ne pas dire glaciale, du troisième long-métrage de la talentueuse Julia Ducournau, Alpha, en des terres cannoises qui l'avaient toujours adoubé avec une bienveillance marquée, était finalement le plus beau des présages pour les cinéphiles et spectateurs adeptes de son cinéma comme de ses références familières, presque un gage de qualité en comparaison même d'un Titane moins cannibale mais tout aussi féroce que Grave, à la réception peut-être encore plus divisée.

Œuvre hybride et fonctionnant à un niveau d'allégorie volontairement exagérée, le film se revendiquait comme une messe noire foisonnante, jubilatoire et techniquement léchée, un songe démentiel et pervers constamment logé entre clarté et folie, qui repoussait ses limites jusqu'à la rupture.

Le second effort loin d'être parfait certes mais vivant d'une cinéaste accomplie et totalement consciente que l'époque contemporaine réclame une horreur non plus de narration mais bien d'expérimentation et de sensations, tout en la ramenant avec puissance dans les 70s/80s où l'importance du corps et de la chair - auscultés sous toutes les coutures - étaient au premier plan (Cronenberg n'était et ne sera jamais loin, et encore plus dans la manière que les deux orfèvres ont de mettre des images sur leurs obsessions).

Copyright MANDARIN & COMPAGNIE KALLOUCHE CINEMA FRAKAS PRODUCTIONS FRANCE 3 CINEMA

Alpha se fait sans aucun doute moins clivant et un peu plus maîtrisé dans son fond - même si toujours un chouïa alambiquée -, avec un propos sensiblement plus impactant, quand bien même sa mise en scène a encore une nette tendance à l'alourdir dans un élan de sensationnalisme clipesque et sauvage, surlignant un peu trop ce qui n'avait pas fondamentalement besoin de l'être.

Tout est question de corps encore une fois (mais aussi de recomposition douloureuse des liens familiaux, plus soulignee encore que pour Titane), mais si ses deux premiers films imposait la mutation de celui-ci comme une sorte d'adaptation à un monde où l'humanité dans sa plus simple définition, disparaissait lentement mais sûrement, c'est de sa destruction dont Ducournau se fait l'exposé dans une expérience douloureusement troublée et troublante, vissée au plus près de la souffrance intime d'une gamine havraise de treize ans, Alpha, qui n'est plus la même depuis qu'elle a embrassé les affres d'une adolescence et de la découverte de soi dont elle est confrontée frontalement à toutes les angoisses, mais aussi et surtout depuis qu'on lui a tatoué la lettre A avec une aiguille hypodermique, potentiellement contaminée.

À une époque - les années 90, au cœur de l'intrigue - où le Sida est un virus qui détruit tout, les âmes comme l'union des corps jusqu'ici naïvement opérée, cette lettre A, le début de tout, tatouée sur son bras pourrait être le début de sa propre fin - une mystérieuse épidémie transforme les malades en statue de marbre.
Ostracisée par ses camarades de classe, le basculement de son quotidien s'intensifie au retour de son oncle, accro à l'héroïne...

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À la différence de Grave et Titane qui voguaient vers la voie d'une nouvelle chair pour mieux s'affirmer, la crise de l'humanité et la mutation du corps qu'explore Alpha passe par un emprisonnement de celui-ci, une dégradation à une époque comme à un âge charnière et où le fantastique (pas uniquement le body horror, encore une fois) s'immisce tout autant dans la panique, sociale comme intime qu'il convoque (où comment renouer avec la peur comme avec l'ostracisme des années Sida, dans un monde post-Covid où la biopolitique est au centre des débats), que dans l'évolution vers quelque chose d'autre, une pétrification presque poétique dans sa manière d'être renvoyer à quelque chose de plus naturel, terrestre - n'être, littéralement, que poussière.

Dans sa quête stylistique tout aussi personnelle que constante de penser comme de représenter le corps féminin, Julia Ducournau ose, expérimente quitte à parfois trébucher (on pourrait quelque fois le rapprocher au Requiem for a Dream de Darren Aronofski, qui n'a pas bien vieillit) dans cette nouvelle œuvre profondément cathartique et visuellement orgiaque qui détonne dans une proposition hexagonale qui, sans elle, n'aurait sans doute pas la même saveur.


Jonathan Chevrier