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[CRITIQUE] : Tout le monde aime Jeanne


Réalisatrice : Céline Devaux
Avec : Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxime Tual, Nuno Lopes, …
Distributeur : Diaphana Distribution
Genre : Drame, Comédie, Animation.
Nationalité : Français, Portuguais, Belge.
Durée : 1h35min

Synopsis :
Tout le monde a toujours aimé Jeanne. Aujourd’hui, elle se déteste. Surendettée, elle doit se rendre à Lisbonne et mettre en vente l’appartement de sa mère disparue un an auparavant. A l'aéroport, elle tombe sur Jean, un ancien camarade de lycée fantasque et quelque peu envahissant.


Critique :


Tout le monde aime Jeanne affirme le titre du premier long métrage de Céline Devaux. Sauf Jeanne elle-même. Blanche Gardin prête ses traits à cette héroïne, que le récit nous montre à un moment charnière de sa vie : endeuillée et surendettée. À l’image de son dernier court métrage, Gros chagrin (prix du Meilleur Court Métrage à la Mostra de Venise en 2017), le cœur de Céline Devaux balance entre animation et prise de vue réelle. La caméra capte l’image de Jeanne, son air blasé, son apathie ; l’animation, de son côté, fait exploser les émotions du personnage et nous la rend plus compréhensible, plus proche de nous.

© Diaphana Distribution

Céline Devaux s’intéresse aux différents sens que peuvent porter les images. Un plongeon peut être vu comme un geste gracieux mais il peut être vu comme ridicule. Tandis que le générique accompagne une jeune femme inconnue lors de son ascension vers le plus haut plongeoir de la piscine, son image miroir, le plongeon désespéré de Jeanne pour sauver son projet écologique quelques moments après le générique, donne à cette gestuelle une autre dimension. La cinéaste se sert de cette métaphore dans l’évolution de son héroïne, qui plonge dans la dépression à mesure que le film avance.

Oui, les images sont trompeuses. Lorsque Jeanne arpente la rue, droite comme un I, lunettes de soleil sur le nez, marchant d’un pas allègre et assuré, on ne peut que penser qu’il s’agit d’une femme sûre d’elle, une femme badass dont le projet écologique de ramassage de déchets a été gorgé de succès. Mais Jeanne cache sous son masque de quiétude un profond mal-être. Les traits dynamiques des passages animés nous offrent un autre portrait de Jeanne, femme à la dérive après un échec professionnel cuisant, une faillite commerciale et un deuil difficile. Les petites créatures censées être les voix intérieures de Jeanne, fantômes de son être ou tampax avec des jambes (selon comment vous voulez les voir) aident les spectateur⋅trices à discerner l’invisible, aident le récit à trouver un franc équilibre entre la douce lumière de Lisbonne et l’amertume du déni dans lequel Jeanne s’enferme, jour après jour. La lumière de Olivier Boonjing va dans ce sens et refuse les ténèbres au personnage. Elle doit combattre ses sombres pensées dans un cadre agaçant tant il est magnifié par des couleurs saturées d’une ville qui elle aussi subit des changements intérieurs.

© Diaphana Distribution

Mais alors que Tout le monde aime Jeanne déploie un ton mordant et un sens du rythme dans les dialogues (avec une Blanche Gardin au phrasé traînant irrésistible), le film se pare de romantisme avec l’arrivé de Jean (Laurent Lafitte), le pendant de Jeanne, son image inversée. Tandis qu’elle coule, lui flotte au gré des vagues de la vie. L’acteur trouve ici un rôle à contre-courant, dans lequel il semble très à l’aise. Jean est toujours arythmique et déséquilibre, avec délice, tout ce que le film vient de construire. Le travail du son (orchestré par Olivier Dô Huu) prend une importance capitale, tant Jean casse constamment le rythme redondant des pensées de Jeanne. Il est cependant dommage de voir le film pencher vers la facilité d’une romance, aussi singulière et drôle soit-elle. Cette bifurcation dans un récit abordant avec réalisme et sérieux les questions de dépression, de suicide et de deuil paraît superflue et même pire, il semble perpétuer les tropes éculés du mal-être des femmes qui disparaît miraculeusement quand elles trouvent l’amour. L’amour guérit tout dit le dicton, même la dépression ?

Comédie dépressive, Tout le monde aime Jeanne est un numéro d’équilibriste suffisamment réussi où l’esprit comique de l’animation s’entrechoque avec les pensées sombres de Jeanne. Le film joue avec l’image, celle que l’on voit, celle que l’on renvoie et nous offre quelque chose de rare : les pensées d’un personnage féminin pas stéréotypé même si Céline Devaux finit par l’enfermer dans une romance dont elle n’a pas besoin.


Laura Enjolvy


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