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[CRITIQUE] : Maternal

Réalisatrice : Maura Delpero
Avec : Lidiya Liberman, Denise Carrizo, Agustina Malale, Isabella Cilia,...
Distributeur : Memento Films Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Italien, Argentin
Durée : 1h29min

Synopsis :
Paola quitte l'Italie pour Buenos Aires où elle doit terminer sa formation de Sœur au sein d'un foyer pour mères adolescentes. Elle y rencontre Luciana et Fatima, deux jeunes mères de 17 ans. A une période de leur vie où chacune se trouve confrontée à des choix, ces trois jeunes femmes que tout oppose vont devoir s’entraider et repenser leur rapport à la maternité.


Critique :

La documentariste italienne Maura Delpero fait son premier pas dans la fiction, avec un long métrage qui se passe dans un couvent en Argentine accueillant des mères-filles.
Après Signori Professori sur le métier de professeur en Italie en 2008 et Nadea e Sveta en 2012 sur deux immigrées moldaves, Maura Delpero passe à la fiction avec Maternal, où des jeunes mères, à peine majeurs parfois, habitent dans un couvent, le temps qu’elles reprennent le contrôle de leur vie. Malgré le côté fictionnel, la réalisatrice ne se départit pas de son regard acéré de documentariste pour ses personnages, qui via sa caméra se transforme en individus à part entière, avec tellement de consistance qu'ils dépassent le récit. Ce sentiment vient sûrement de la propre expérience de Maura Delpero, qui a scruté des couvents en Argentine pendant quatre ans et qui a organisé des entretiens avec des jeunes mères pour avoir leur point de vue et ouvrir la discussion sur un sujet complexe : "La lutte entre le désir et la responsabilité, entre deux vocations, entre deux amours. Confronter la maternité précoce des filles avec la maternité absente des sœurs est une situation très particulière et à la fois cela déclenche des sentiments universels.” confie-t-elle dans le dossier de presse du film.


La réalisatrice prend le temps de regarder ces jeunes femmes, non pas pour les juger, ni même pour les comprendre, mais uniquement pour les faire exister. Maternal pourrait être mis en parallèle avec le brillant documentaire de Juan Solanas Que Sea Ley sorti en mars cette année, qui s’intéresse au combat des femmes argentines pour que l’IVG, interdite encore aujourd’hui, soit légale. Des centaines de femmes meurent encore des suites d’un IVG clandestin. Ces femmes, parfois très jeunes, se retrouvent donc enceinte, la plupart du temps seule et sans ressources. Elles sont donc mises dans ces couvents, où elles apprennent tant bien que mal à devenir mère. Maternal lève le voile sur un mensonge de la maternité : l’instinct maternel n’est pas inné, être mère s’apprend. Alors que le film s’ouvre sur sœur Paola (Lidiya Liberman), nouvelle arrivante au couvent, la caméra s’intéresse vite à deux jeunes femmes. Luciana (Agustina Malale), mère d’une petite fille, qui s’apprête à enfreindre le couvre feu pour sortir faire la fête avec son nouveau petit copain. Et Fatima (Denise Carizzo), enceinte de son deuxième enfant, les deux issus de viols comme on le comprend assez vite. La réalisatrice les filme dans la salle de bain, une intimité où elles se livrent dans toute leur entièreté, leur façon de réagir. Lu n’a pas de barrière, se montre nue, s’épilant le pubis avant son rendez-vous devant Fati, qui pudique ne laisse pas tomber sa serviette. C’est par ces petits détails que la cinéaste construit son film, passant d’un regard à un autre, ce qui amène une pluralité de point de vue : Lu, Fati, mais aussi sœur Paola, la Mère Supérieure et les même les enfants, Michael le fils de Fati et Nina, la fille de Lu. Les deux femmes s’occupent de leurs enfants comme elles le peuvent : Lu laisse sa fille volontiers à sa colocataire ou aux sœurs pour sortir, Fati a du mal à exprimer sa tendresse envers son fils et n’est en aucun cas épanouie par cette seconde grossesse. Après cette première partie, où le film s’est échiné à nous montrer les tenants et aboutissants, le récit apparaît : Lu s'enfuit pour vivre avec son copain et abandonne sa fille au couvent. 


À partir de ce moment, Maternal bascule dans la fiction pure, sans toutefois se débarrasser d’un effet documentaire, où la caméra va scruter les réactions des différentes protagonistes qui vivent de plein fouet ce départ. Sœur Paola, Fati et Nina sont directement confrontées à cette disparition et apprennent beaucoup sur leur désir et leur capacité à affronter les difficultés. Fati apprend la tendresse et finit par voir son second accouchement comme un nouveau départ, une nouvelle vie où elle fera tout pour le bonheur de ses enfants. Sœur Paola de son côté est confrontée au désir d’enfant qu’elle n’avait jusqu’alors jamais ressenti. Nina lui ouvre un nouveau champs des possibles, un nouvel amour fort, malheureusement impossible dans la voie qu’elle a choisi. Maternal prend alors tout son sens dans ce questionnement de la maternité, en nous disant qu’il en existe plusieurs : celle qu’on choisit, celle qu’on subit, celle que l’on apprend ou que l’on refuse consciemment. Le film devient alors une réponse aux lois qui refusent un droit fondamental à ces femmes, celui de choisir. Le film capture ce puissant regard, un cinéma qui observe,  qui donne de l'ampleur à celles qu’on juge si sévèrement.


Par son silence et sa caméra fixe, Maternal aurait pu être un film d’une condescendance crasse, mais Maura Delpero déjoue le piège de ce cinéma rogue grâce à un ton complexifié par différents point de vue.


Laura Enjolvy


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