[NETFLIX] : Pourquoi l’arrivée de François Truffaut va embellir notre quotidien de cinéphiles confinés
François Truffaut et douze de ses péloches débarquent ce week-end sur Netflix, et c'est la meilleure nouvelle qui pouvait arriver aux abonnés, en cette période morose de confinement.
Il y a quelque chose d'assez ironique dans l'idée que Netflix a réalisé un sacré gros coup, en attirant dans son riche catalogue (quoiqu'en diront certains), une bonne partie de la filmographie - 12 films, dont certains étaient déjà disponible sur la plateforme MUBI ici - du, justement, papa de l'éternel Les 400 Coups, François Truffaut, via un juteux partenariat avec Mk2; un deal qui débouchera plus tard cette année, sur l'arrivée en masse de la quasi-intégralité de la filmographie de Claude Chabrol, ainsi que de quelques titres de David Lynch, Alain Resnais, Emir Kusturica, Krzysztof Kieslowski, Michael Haneke, Steve McQueen ou encore Xavier Dolan.
Mais revenons-en à nos moutons donc, et à Truffaut, cinéaste majeur dans l'histoire du septième art (et pas uniquement hexagonal), dont le nom est gentiment collé à la Nouvelle Vague (instant Wikipedia, c'est un mouvement du cinéma français né entre la fin des années 1950 et qui perdura dix piges jusqu'à la fin des années 1960, et qui contient tous les jeunes cinéastes de l'époque : notamment Jean-Luc Godard, François Truffaut, Éric Rohmer, Claude Chabrol, Jacques Rivette, Alain Resnais, Louis Malle, Agnès Varda, Jacques Demy...), dont il est l'un - si ce n'est LE - fer de lance, un amoureux du cinéma qui n'était peut-être pas forcément destiné à tutoyer les cimes des salles obscures.
© AFP / Georges Hernad / Ina |
Issu des Cahiers du Cinéma comme Godard, Rohmer et Rivette, surnommés les « Jeunes Turcs », et à l'origine de la conception de la politique des auteurs (une approche critique qui consiste à donner au réalisateur le statut d'auteur au-dessus de tout autre intervenant), le bonhomme passera par la case court-métrage pour ses débuts en 1954, Une Visite (l'histoire d'un jeune garçon qui cherche une chambre à louer, et qui s'installe dans l'appartement d'une jeune femme, à qui son beau-frère confie sa petite fille à garder), puis Les Mistons en 1957 (l'histoire d'une bande de gamins jaloux - les mistons - rend la vie impossible à un couple d'amoureux : Bernadette et Gérard, campés par Bernadette Lafont et Gérard Blain) et enfin Une Histoire D'Eau co-réalisé avec Godard (l'histoire d'une étudiante qui essaye de gagner Paris en traversant des zones inondées, avant d'être prise en stop par un jeune homme qui entreprend de la séduire); avant de sauter le pas vers le long-métrage...
Et c'est là que le deal de Netflix devient vraiment très, très intéressant pour toi, qui es un abonné de la plateforme qui hésite toujours à couper court ou non son investissement, mais qui est surtout avide de belles découvertes made in France.
#1. Les Quatre Cent Coups (1959)
D.R |
Premier film du cinéaste, il est aussi et surtout le premier opus de sa pentalogie Antoine Doinel (magnifique chronique au pluriel, sur la beauté de la vie et du temps qui passe), interprété à différents âges de la vie par l'immense Jean-Pierre Léaud, véritable incarnation à l'écrande Truffaut : enfant fugitif dans Les Quatre Cents Coups (1959), adolescent maladroit mais attachant dans Antoine et Colette (segment/ directe des Quatre Cents Coups, faisant partie du film à sketches L'Amour à 20 ans en 1962), Baisers volés (1968), trentenaire qui apprend les lois complexes du mariage et de la vie de parents dans Domicile conjugal (1970), puis finalement en homme divorcé dans L’Amour en fuite (1979).
Premier film furieusement autobiographique et premier coup de maître (dédié à André Bazin, l'un des fondateurs des Cahiers du Cinéma et que le cinéaste considérait tout simplement comme un père adoptif), Les Quatre Cents Coups, de loin le meilleur film de la saga Doinel, est un véritable bijou de poésie et de mélancolie sur l'ivresse libertaire de la jeunesse, une oeuvre sublimant la spontanéité de l'enfance mais aussi sa cruelle réalité et la profonde solitude; filmé avec simplicité et soin (non sans railler un brin les failles du système pédagogique archaïque de l'époque).
L'adolescence rime avec l'enthousiasme, la découverte naïve de soi et du monde, mais aussi et surtout, avec la souffrance.
Synopsis :
" Antoine a une adolescence turbulente. Il ment à ses parents indifférents à son sort, vole, fugue. Son seul réconfort, il fait les quatre cents coups avec son ami René. Un jour, la police s'en mêle. "
#2. Tirez sur le Pianiste (1960)
Films de la Pléiade |
À peine un an après son baptême du feu, François Truffaut remet le couvert et adapte à sa sauce le roman éponyme de David Goodis (Down There / Shoot the Piano Player, 1956), en tranchant son aura de polar noir pour lui préférer un versant resolument plus humoristique et un détachement général enchanteur.
Multipliant les rebondissements et les disgressions, entremêlant vérité et grotesque avec ferveur, le cinéaste croque une satire (très) plaisante et tendre même si parfois maladroite, et incarnée à la perfection par un Charles Aznavour qui verra dès lors, sa carrière décoller aussi bien sur grand écran, que derrière un micro outre-Atlantique.
Synopsis :
" Charlie Kohler, pianiste dans un petit bar, commence à avoir des ennuis lorsque deux gangsters s'en prennent à son frère qui se réfugie sur son lieu de travail. Dans le même temps, Léna, la serveuse est amoureuse de Charlie alors que ce dernier cache un sombre passé auquel la jeune femme va tenter de le soustraire. "
#3. Jules et Jim (1962)
© Collection Cinémathèque française |
Si l'amour tient une grande place dans la filmographie du réalisateur, l'indécision qu'il incarne parfois n'aura, sans doute, jamais été aussi beau et cinégénique que dans Jules et Jim (Le Tourbillon ❤), triangle amoureux douloureusement magnifique, et adapté - avec une franche liberté - du roman éponyme et autobiographique d'Henri-Pierre Roché.
« Tu m'as dit ‘'Je t'aime'', je t'ai dit ‘'Attends''. J'allais dire ‘'Prends-moi'', tu m'as dit ‘' Va-t-en '' ».
Deux hommes conquis, Oskar Werner et Henri Serre, et une femme indécise et indomptable, Jeanne Moreau (icône absolue de la Nouvelle Vague, que Truffaut filme avec amour), au coeur d'un poème mélancolique comme on n'en fait plus, une petite histoire bouleversante inscrite dans la tragédie de la grande, sur la pluralité des amours et... du tourbillon de la vie.
Synopsis :
" Paris, dans les années 1900 : Jules, allemand et Jim, français, deux amis artistes, sont épris de la même femme, Catherine. C'est Jules qui épouse Catherine. La guerre les sépare. Ils se retrouvent en 1918. Catherine n'aime plus Jules et tombe amoureuse de Jim. "
#4. La Peau Douce (1964)
Arte |
Tourné un brin dans l'urgence juste avant Fahrenheit 451, son quatrième long-métrage n'en reste pas moins l'un de ses plus beaux exercices de styles.
Drame trouble et haletant à plus d'un niveau (son couple d'avec Madeleine Morgenstern battant de l'aile - le bonhomme est très volage -, sa vision n'en est que plus fascinante, replacée dans son contexte intime), concocté en pleine période Hitchcockienne du cinéaste, il est peut-être l'essai le plus sec et douloureux de sa filmographie.
Jean Desailly et Françoise d'Orléac - qui sort tout juste de L'Homme de Rio -, y sont fantastiques.
Synopsis :
" Au cours d'un voyage à Lisbonne, où il doit donner une conférence sur Balzac, Pierre Lachenay s'éprend de Nicole, une hôtesse de l'air. Lorsque son épouse Franca apprend cette liaison, Pierre décide de divorcer. "
#5. Fahrenheit 451 (1966)
© 1966 Universal |
Adapté le bijou - mais surtout pavé - littéraire de Ray Bradbury est une mission impossible à laquelle Truffaut s'est attelé.
Son seul et unique film en langue anglaise, ou il convoque à nouveau Werner mais surtout Julie Christie, le métrage s'est tourné dans les prestigieux studios de Pinewood, et Truffaut s'en sort plutôt bien dans sa mise en image de la critique virulente du Maccarthysme de Bradbury.
Une oeuvre désenchantée et froide, qui a un tantinet mal vieillie.
Synopsis :
" Dans un pays indéfini, à une époque indéterminée, la lecture est rigoureusement interdite : elle empêcherait les gens d'être heureux. La brigade des pompiers a pour seule mission de traquer les gens qui possèdent des livres et de réduire ces objets en cendres. Guy Montag, pompier zélé et citoyen respectueux des institutions, fait la connaissance de Clarisse, une jeune institutrice qui le fait douter de sa fonction. Peu à peu, il est à son tour gagné par l'amour des livres. "
#6. Baisers Volés (1968)
D.R |
Notre premier retour dans la vie du si difficile à cerner Antoine Doinel - sur grand écran -, qui nous plonge au coeur d'un bijou de comédie fantaisiste et perpétuellement juste, mais qui surtout tranche avec la radicalité et la phase Hitchcockienne opérée par Truffaut jusqu'alors - et qui s'est conclue avec beauté dans le bouillant La Mariée était en Noir.
Un beau moment de cinéma, mis en boîte avec fluidité par un cinéaste qui s'amuse continuellement à frôler le grotesque pour tirer l'essence de vérité de la vie, dans toute sa complexité passionnante.
Synopsis :
" Après son service militaire, Antoine Doinel, toujours amoureux de Christine Darbon, cherche un emploi. Après s'être fait renvoyer d'un travail de veilleur de nuit, il est engagé dans une agence de détective privé où on lui confie une mission dans un magasin de chaussures. Le propriétaire, Mr Tabard, cherche à découvrir la raison de la haine de ses clients et de sa femme à son égard. "
#7. Domicile Conjugal (1970)
D.R |
On est bien avec Antoine, pas vrai ?
En tout cas Truffaut oui, et il persiste et signe dans la comédie fine, tendre et pertinente, en croquant les péripéties quotidiennes de Doinel et de son épouse Christine (magnifique Claude Jade), banalisant la normalité de la vie pour mieux la rendre empathique et universelle.
Scripté avec minutie, mis en scène avec une maniaquerie folle, le film est un pur délice de cinéma au charme fou, qui se déguste et se dévore sans faim.
Synopsis :
" Antoine Doinel a finalement épousé Christine Dabon. Le jeune homme est embauché dans une entreprise d'hydraulique après avoir quitté son travail de teinturier pour fleurs. Peu de temps après, Antoine rencontre Kyoko, une Japonaise avec qui il trompe Christine alors que celle-ci vient de mettre au monde leur fils Alphonse. "
#8. Les Deux Anglaises et le Continent (1971)
D.R |
Truffaut retrouve l'auteur de Jules et Jim, Henri-Pierre Roché, et adapte une nouvelle fois l'un de ses romans qui s'articule autour d'un triangle similaire à sa précédente oeuvre, mais inversé : un un homme français et deux femmes anglaises.
Très Renoir dans son approche intime, et semblant tout droit sorti de la plume de Flaubert (le cinéaste le considérait comme son chef-d'œuvre ultime), il est, même plombé par quelques longueurs discutables, une brillante exploration des thèmes du désir, de la séduction et de la relation amoureuse.
Synopsis :
" Anne, jeune Anglaise, rencontre Claude qu'elle présente à sa soeur Muriel. Après deux années où le trio mêne une vie faite de complicité et de bonheur partagé, Anne et Muriel s'éprennent toutes deux de leur compagnon. "
#9. L'Amour en Fuite (1979)
D.R |
Suite et fin de sa saga Doinel (et qui partage son titre avec une jolie chanson d'Alain Souchon, faîte justement pour sa bande originale), ou il croque la fin d'une union après huit ans de mariage fait de hauts et de bas, entre quotidien mélancolique et théorique, et flashbacks nostalgiques.
Les adieux - logiques et cohérents - sont aussi jubilatoires que difficiles (c'est sans doute, le film le moins réussi du lot), constamment entre tendresse et amertume, et pour lequel les amoureux des 90's que nous sommes, reconnaîtront l'éternelle Dorothée dans un important second rôle.
Synopsis :
" Huit ans après leur mariage, Antoine et Christine se quittent en bons termes et toujours liés par leur fils Alphonse. Devenu romancier, Antoine profite de son célibat pour retrouver Colette, son premier amour mais il fait aussi la rencontre de Sabine, une vendeuse dans un magasin de disques. "
#10. Le Dernier Métro (1980)
D.R |
De loin son plus beau film (avec La Nuit Américaine), toujours gentiment logé sous la figure tutélaire de Renoir (il s'inspire de sa pièce de théâtre Carola) ou il aborde avec maîtrise le sujet douloureux du régime de Vichy et de la collaboration entre Hitler/Pétain.
Une oeuvre d'une justesse rare, entre la comédie dramatique enlevée et la tragédie bouleversante, ou Truffaut préfère transcender l'humanité face à l'horreur, autant qu'il offre à un casting proprement indécent de talents (Depardieu, Deneuve, Noiret, Haudepin,...) quelques-uns de leurs plus beaux rôles.
Chef-d'oeuvre.
Synopsis :
" Paris, septembre 1942. Lucas Steiner, le directeur du théâtre Montmartre a dû fuir parce qu’il est juif. Sa femme Marion Steiner dirige le théâtre et engage Bernard Granger, transfuge du Grand Guignol, pour jouer à ses côtés dans « la Disparue », que met en scène Jean-Louis Cottins. Jusqu’au soir de la générale, la troupe subit les menaces du virulent critique de « Je suis partout », Daxiat, dont l’ambition est de diriger la Comédie-Française. Et si, par amour pour sa femme, Lucas Steiner avait fait semblant de fuir la France et était resté caché dans la cave de son théâtre pendant toute la guerre…. "
#11. La Femme d'à Côté (1981)
Les films du carrosse |
Un an après son précédent long, Truffaut retrouve un Depardieu alors à l'apogée de sa carrière (ses plus beaux rôles seront à jamais, ses premiers), quitte la dureté de l'occupation Allemande et signe une histoire d'amour intime et douloureuse comme il en a si bien le secret.
Plus drame noir puissant et mortifère que comédie enlevée digne dès débuts de la Nouvelle Vague, il met en exergue la souffrance des femmes étouffées par le monde contemporain, et des hommes qui ne les écoutent pas, même quand elles agonisent devant eux.
Fanny Ardant y est tout simplement renversante.
Synopsis :
" Ayant autrefois vécu des amours ombrageuses, Bernard et Mathilde, par le plus pur des hasards, se trouvent être voisins. Même s'ils sont tous les deux mariés, leurs destins se croisent à nouveau. "
#12. Vivement Dimanche ! (1983)
D.R |
Le dernier film réalisé par François Truffaut, décédé un an plus tard le 21 octobre 1984, d'une tumeur cérébrale.
Reprenant volontairement, non sans un souci caricatural, les codes du film noir des années 40/50 - jusque dans son noir et blanc élégant -, le film est joli pastiche quoique un poil impersonnel, même si l'on retrouve son amour pour une mise en scène fluide et raffinée.
Un solide dernier film roublard et enjoué, porté par le brillant couple Trintignant/Ardant.
Synopsis :
" Une femme et son amant sont assassinés. Le mari, Julien Vercel, suspect n°1 decide de s'enfuir et de se cacher quelque temps. Sa secrétaire, Barbara Becker, éprise de son patron, mène sa propre enquête. "
...
Douze bonnes raisons donc, de s'initier au septième art de ce qui est l'un des plus grands faiseurs de son époque, mais surtout douze bonnes opportunités d'égayer un confinement qui en avait cruellement besoin.
Merci Netflix, mais surtout Merci M. Truffaut.
Jonathan Chevrier