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[CRITIQUE] : Les Bonnes Étoiles


Réalisateur : Hirokazu Kore-eda
Avec : Song Kang-Ho, Dong-won Gang, Doona Bae, Ji-eun Lee,…
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Sud-coréen
Durée : 2h09min

Synopsis :
Par une nuit pluvieuse, une jeune femme abandonne son bébé. Il est récupéré illégalement par deux hommes, bien décidés à lui trouver une nouvelle famille. Lors d’un périple insolite et inattendu à travers le pays, le destin de ceux qui rencontreront cet enfant sera profondément changé.

Critique :



Depuis sa Palme d’Or en 2018 pour Une affaire de famille, Hirokazu Kore-eda s’exporte du Japon pour analyser les dynamiques familiales d’autres pays. En 2019, il avait posé ses caméras en France et avait filmé la relation mère/fille difficile de Catherine Deneuve et Juliette Binoche dans La Vérité. Cette année, il s’intéresse à la Corée du Sud et à une problématique actuelle : les boîtes à bébé, dans laquelle les parents dépassés par les événements peuvent y déposer leurs enfants. Flairant une bonne affaire, Sang Hyeon et Dongsoo se proposent de trouver une famille adoptive pour ces bébés abandonnés (statistiquement, ces enfants ne sont presque jamais récupérés par leurs parents biologiques), c’est-à-dire des parents riches, qui peuvent y mettre le prix. Les Bonnes Étoiles s’attaque à la traite de bébés, ni plus, ni moins. Mais, film de Kore-eda oblige, derrière cette histoire moralement douteuse se niche un récit plus complexe et humain.


Copyright Metropolitan FilmExport

Quand on pense au cinéaste japonais, on pense à sa façon de filmer la singularité des relations humaines au sein d’une cellule familiale. Dans sa filmographie, Kore-eda a redessiné les contours de la famille (nucléaire) telle que nous l’imaginons afin d’étirer les champs de possibilité : l’idée de famille est bien plus large qu’il n’y paraît et n’a parfois rien à voir avec les liens du sang. Dans Les Bonnes Étoiles, la famille n’existe que dans l’imagination des enfants et dans la volonté des deux compères, Sang Hyeon et Dongsoo, de faire adopter les bébés contre une belle somme d’argent. Pourtant, tandis que l’enjeu se resserre autour de l’adoption du petit Woo-sung, une famille éphémère se crée. On y trouve la mère biologique So-young ; une jeune travailleuse du sexe au passé trouble qui vient appuyer très justement toute la culpabilité que l’on place sur les mères en général ; Sang Hyeon et Dongsoo, deux hommes torturés par leur propre soucis (le premier doit de l’argent à la mafia, le deuxième pense faire une bonne action, étant lui-même un enfant abandonné, élevé dans un orphelinat) et le jeune Hae-jin, venu se greffer à cette petite troupe fringante.

Si cette famille temporaire rassemble le récit et les personnages, le scénario, de son côté, semble se perdre dans des histoires annexes aux enjeux aussi inexistants que les sourcils de Woo-sung. Entre les policières tenaces, comic-relief censé apporté un peu de tension et cette histoire mafieuse venue de nulle part qui se manifeste comme un cheveu sur la soupe, Les Bonnes Étoiles s’égare dans un méli-mélo espiègle et parfois peu inspiré. Kore-eda n’est jamais aussi fort que lorsqu’il place ses personnages dans un endroit exiguë, en l'occurrence un van déglingué ou une chambre d’hôtel tamisée, leur permettant de resserrer les liens. Dans l’obscurité, les émotions sont lâchées et l’on se remercie d’exister chacun son tour, trouvant ainsi sa place dans une structure familiale que l’on pensait moins malléable qu’elle ne l’est en réalité, il suffit de s’ouvrir aux autres et de les accepter. Tout ce qui est extérieur à cette famille recomposée nous est dérisoire, car le récit ne nous mène pas en bateau : le public sait que leur quête comportera une fin et que la séparation est inévitable.

Copyright Metropolitan FilmExport

Parasité par un scénario éparpillé, Les Bonnes Étoiles possède l’accent de déjà-vu chez Kore-eda, dont la filmographie creuse les différents aspects de la famille. Pourtant, la magie opère lors de séquences en creux où la délicatesse, inhérente au cinéaste, s’infiltre dans les interstices de cette chasse aux vendeurs de bébés.


Laura Enjolvy
 


Copyright Metropolitan FilmExport

S'il y a bien un geste que le cinéma permet, est de donner une place à des âmes qui la cherche désespérément dans leur environnement. Le cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda est l'un des plus significatifs et sensibles à ce propos. Grâce aux images, il propulse deux mouvements qui cohabitent constamment dans cette recherche. Le premier est celui de la reconfiguration familiale, grâce aux abandons, aux rencontres, et tant d'autres situations liées à l'humeur ou au hasard. Le second mouvement est celui du dialogue avec le passé. Sans flashback, il s'agit d'explorer comment le passé d'un personnage influe sur ses interactions aux autres, et comment cela permet de se réconcilier avec. L'appartenance n'est donc pas une question de lien physique avec un espace fixe, mais une question d'aventure sentimentale, où les circonstances créent l'espoir de l'amour face au chagrin. Les bonnes étoiles est dans ce sens dans la continuité de Tel père tel fils et Une affaire de famille, où les personnages sont des naufragés et retrouvent de la joie dans le tissage d'une communauté. C'est l'histoire d'une jeune mère qui abandonne son bébé, qui voyage quand même avec ces deux hommes tourmentés gagnant leur vie sur la détresse des autres et notamment en cherchant à vendre l'enfant de celle-ci. Le but du voyage est de trouver une famille d'accueil, en créant une harmonie familiale dans ce qui paraît amoral.


Dans ce qui forme ce groupe et dans ce qui les déchire individuellement, Hirokazu Kore-eda utilise trois tonalités pour étudier la fugacité et la bricolage de cette reconfiguration familiale. Il y a à la fois une chronique sociale (ou asociale), un road movie et une touche de film policier. Dans cette nouvelle délocalisation, cette fois-ci en Corée du Sud, le cinéaste y retrouve des personnages attachants. Ce sont des êtres humains qui se présentent d'abord par leurs failles, qui seront petit à petit couvertes par la douceur que la caméra leur offre. Comme à son habitude, Kore-eda révèle ses personnages petit à petit, devenant progressivement plus consistants. Ils sont au départ des idées, voire des fonctions, et finissent par s'en écarter pour se dévoiler dans leurs souffrances et leurs doutes. Une manière de dessiner les contours d'une altération : comment peut-on être mère ou père différemment ? La maternité et la paternité prennent de nouvelles formes, que ce soit de la naissance de la responsabilité ou sa construction au fil du temps. Ça ne s'apprend pas, ça se vit et s'expérimente dans la durée. De cette façon, Kore-eda regarde comment les sociétés se forment et se déchirent. Au sein d'une désillusion sociétale et même sociale, le film dresse le portrait des sentiments laissés errants avec les conflits de valeurs. C'est alors que des êtres sans aucun lien finissent par se trouver, par former une famille. Tous les sujets modernes sont surfaces : le désir d'enfant ou non, l'avortement, l'abandon, l'éducation, etc. Tout est complexifié et nuancé, en explorant plusieurs points de vue différents. Ne jamais juger les émotions ni les opinions, permet à Kore-eda de trouver des raisons purement sentimentales à l'altération.


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Si ce groupe fonctionne si bien, c'est aussi parce que le bébé est le lien qui les associe. C'est l'enfant qui crée le groupe et surtout les affections qui traversent et flottent en son sein. Alors que la jeune mère le laisse dans une boîte prévue à cet effet, cette jointure dans le mur entre le passé et le futur (la vie avec le bébé, puis le placement dans une famille d'accueil / le couloir vide, puis la pièce avec les deux hommes) ouvre la possibilité d'un nouveau chemin pour chaque personnage. Chacun d'entre eux y voit une manière de commencer une nouvelle vie, de combattre autrement leurs souffrances. Ainsi, passant de mains en mains, de nouvelles sensibilités se révèlent à chaque fois grâce au bébé. Mais sans jamais forcer les traits. Kore-eda ne cherche pas les larmes vis-à-vis des états d'âmes des personnages, il se contente de laisser l'empathie se construire au fil du bricolage qui permet au groupe de se constituer. Et parce que le récit se déroule sur seulement quelques jours, les liens entre les personnages sont bien plus intenses. Dans la fugacité, le cinéaste met en scène cette nécessité incessante de trouver un nouvel espace pour s'éloigner des souffrances, pour épaissir les sentiments. Puisque la configuration de cette famille est du bricolage due au hasard, il est nécessaire de toujours renouveler les sensations et affirmer les sensibilités. C'est ce qui fait de Kore-eda un vrai conteur : dans le romanesque des personnages qui se dévoilent au fil du temps et au gré des espaces traversés, il s'insère dans leurs mémoires et leurs cœurs.


Chaque mouvement s'articule autour de ces insertions dans les états d'âmes individuels. Il se compose en plusieurs pièces, en connectant sans cesse les histoires personnelles à la forme que prend le groupe. Ces personnages amochés par la vie sont tous une couleur différente du tableau que dresse Kore-eda. Que ce soit dans les paroles, dans les non dits et silences, dans les confidences à demi mots, il y a des enjeux différents pour chaque personnage. C'est cette façon de trouver plusieurs perspectives dans un même groupe qui fait la force de la mise en scène. De même que le cinéaste arrive à trouver des tonalités plus légères, en ajoutant un peu de fantaisie dans le voyage. L'une des plus belles scènes est un moment de fou rire à une station de lavage de voiture ; prouvant que dans le drame et la complexité de sa reconfiguration familiale, Kore-eda arrive à capter une délicatesse. Avec cette scène un peu déjantée, le film montre qu'il ne s'agit pas uniquement de souffrances intimes, mais de besoin de se déconnecter pour profiter du moment présent. Même si le scénario semble parfois un peu trop fabriqué, qui se répercute sur une mise en scène qui a tendance à manquer de spontanéité. Il y a quelques éléments narratifs un peu encombrants au début, qui demandent un certain temps d'adaptation, provoquant un rythme assez brouillon. Mais Kore-eda finit petit à petit par les envoyer en arrière-plan ou dans le hors-champ, pour laisser davantage de place à ses protagonistes de la reconfiguration familiale. Ils sont suivis et même traqués, il y a une question de meurtre et de gangsters, il y a plusieurs familles intéressées, etc... Autant d'éléments qui viennent freiner pendant quelques minutes le voyage, amenant quelques temporisations aussi bien narratives que dans la mise en scène. Mais le talent romanesque du cinéaste finit toujours par reprendre le dessus progressivement.


Copyright Metropolitan FilmExport

C'est dans l'infini de l'aventure que Kore-eda trouve la beauté de son film, dans sa façon de se laisser aller à la légèreté, en refusant de laisser entrer l'oppression et la violence dans l'image. Comme ces scènes magnifiques en haut d'une roue : une déclaration d'amour surprenante et délicate, puis une attention paternelle toute en douceur. C'est dans ces moments touchants que le film est à son sommet. Parce que le cinéaste compose des images lumineuses, laissant le cadre et les corps être envahis par une lumière naturelle et par la richesse des paysages. Que ce soit dans les plans larges en extérieurs, ou avec des fenêtres et portes ouvertes en intérieur, les corps ont toujours l'occasion de respirer et de trouver une liberté de mouvements. Avec cette esthétique modeste et humble où chaque environnement devient une opportunité sentimentale, il s'agit de respecter la complexité des intimités, le mystère des destins et l'incertitude de l'avenir. Tout reste à construire, même dans le contraste des séquences nocturnes qui ajoutent l'inquiétude au récit. Dans le trafic humain, il y a le trafic des sentiments qui constituent le drame : dans les rencontres et l'aventure, Kore-eda trouve l'émerveillement et la délicatesse d'intimités qui renaissent.

 

Teddy Devisme


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