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[CRITIQUE] : Anora


Réalisateur : Sean Baker
Acteurs : Mikey MadisonMark EydelshteynYuriy Borisov, Karren Karagulian,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h19min.

Synopsis :
Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage...



Critique :



Qui est un tant soit peu amateur du cinéma de Sean Baker, ne pouvait qu'attendre avec une certaine impatience la vision de son dernier effort en date, Anora, au-delà même de son adoubement lors de la dernière Croisette cannoise.

Portraitiste affûté, habitué à s'attacher à ceux dont on refuse les vertus cotonneuses de l'un American Dream qui subsiste à leur dépens, le papa de Tangerine éprouve certes de l'empathie mais jamais vraiment de compassion pour ces personnages, êtres humains résolument solaires dont la lumière est attaquée par des environnements sordides, l'envers du décors, les coulisses sinistres mais bien réelles du symbolisme triomphant de l'American way of life, que le pays de l'Oncle Sam peine de plus en plus à masquer aux yeux du monde.

Copyright 2024 Anora Productions, LLC

Des personnages désespérément humains, qui s'accroche à leurs existences au moins autant qu'à leurs chimères, qu'il ne juge ni ne victimise jamais dans une sorte de posture misanthrope et pompeuse proprement abjectes (pas besoin d'exemple, ce type de cinéastes a déjà chopé la Palme d'or dans un passé proche).
Sean Baker n'est pas là pour instruire son auditoire, pour pointer du doigt les plus démunis où même pour illustrer un quelconque discours moralisateur faisant frétiller, valider la moindre étude socio-culturelle financée à coups de millions : il fait du cinéma merveilleusement drôle, tragique et humaniste, et il le fait merveilleusement bien.

Il n'y a donc rien d'étonnant à l'idée de voir sa nouvelle comédie mettre en vedette une jeune travailleuse du sexe qui bosse dans un club de strip-tease new-yorkais bardé de clients crasseux, le rejeton écervelé d'un oligarque russe ou encore ses violents et maladroits tueurs à gages, dans ce qui peut se voir comme une relecture irrévérencieuse de Pretty Woman (toujours, honteusement et incroyablement, considéré par la majorité des spectateurs comme un sommet de romantisme) sauce La Traviata, où les différences de classe ainsi que l’insensibilité profonde des plus aisés, vont prendre une place prépondérante au fil du récit : c'est du pur Bakercore, anti-Hollywoodien as hell, aux personnages qui se trouvant aux antipodes de toute moralité traditionnelle - sans pour autant en être dénué.

Copyright 2024 Anora Productions, LLC

Sans trop tergiverser, Anora, vingt-trois ans au compteur, trouve dans l'infantilité et l'égocentrisme exacerbé de Yurij (à peine plus jeune qu'elle, vingt ans), gosse de riche capricieux qui est né avec une cuillère d'argent dans la bouche et ne s'est jamais battu pour obtenir quoique ce soit dans sa vie, qu'elle épouse après une semaine de débauche hystérique et sexuelle (basé sur le même deal " d'exclusivité ", en moins hypocrite, entre Edward Lewis et Vivian Ward dans le film de Garry Marshall), l'opportunité de s'extirper de son existence précaire et de goûter aux joies de la vie qu'elle pense mériter.
C'est une jeune femme effrontée, autonome et déterminée, le symbole d'une génération qui a prise pour acquis l'idée de se vendre pour survivre, que son corps est le seul instrument d'échange, de pouvoir dont elle dispose dans une société contemporaine fracturée et impitoyable.

Il y a une sincérité évidente, une puissance émotionnelle et physique brute dans sa manière d'entrer avec innocence dans un univers pavé d'or et d'argent qu'elle croit fermement plus bon que le sien qui en est dénué, avant d'être durement frappée par sa dure vérité, tant la richesse ne cache à peine ses élans criminels, violents et insensibles.
Baker n'en fait jamais une idiote triste et inconsciente, une Cendrillon des temps modernes qui ne sait pas comment le monde fonctionne, mais bien une anti-héroïne de conte de fées qui s'accroche avec une foi démesurée (tout en cris, en morsures, en coups et en jouissances) à l'espoir d'un avenir meilleur, qui avance même lorsqu'elle se sait brisée, physiquement et intérieurement.

Copyright FilmNation Entertainment

Et c'est là où toute la gymnastique cinématographique de Baker fait solidement son office : jamais Anora n'apparaît autrement que joyeux, puisqu'il ne fait qu'un avec la vitalité et la force de conviction de sa protagoniste principale, dans cette relecture transgressive, sensuelle et politiquement incorrecte du mythe de Cendrillon, le démontage en règle du fantasme de l'introduction dans un monde de luxe et de paillettes qui n'a rien de réconfortant - ni le moindre arc rédempteur à l'arrivée.
Comédie dramatique romantique et burlesque qui flirte amoureusement avec le thriller sans jamais connaître de rupture de ton abrupte, le film n'a pas vocation d'offrir une auscultation pointue des arcanes putrides de l'exploitation sexuelle, une réflexion sociale et politique de l'Amérique d'aujourd'hui (quand bien même il croque, une nouvelle fois, une déconstruction puissante de la fausse promesse de l'American Dream), mais uniquement et simplement d'incarner une magnifique fable, empathique et conflictuelle, sur le courage et la dignité d'une jeune femme qui cherche à survivre et dépasser coûte que coûte, sa miséreuse condition.

Alors certes, si les coutures de sa structure en trois actes manquent un peu d'épaisseur (tout autant qu'il est dénué d'une vraie vision spécifique de la sexualité), d'autant que son montage étire plus que de raison une histoire qui aurait mérité d'être ôtée d'un bon bout de gras (une bonne demie-heure), difficile de nier la force du nouvel effort de Sean Baker, et encore moins la partition absolument extraordinaire d'une Mikey Madison littéralement à tomber.


Jonathan Chevrier






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