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[CRITIQUE] : L'esprit sacré


Réalisateur : Chema Garcia Ibarra
Avec : Nacho Fernandez, Llum Arques, Joanna Valverde, Rocio Ibanez, José Angel Asensio,...
Distributeur : La Fabrica Nocturna Cinéma
Genre : Science-fiction, Comédie, Drame.
Nationalité : Espagnol, Turque, Français.
Durée : 1h37min

Synopsis :
Julio est mort. C’est une terrible nouvelle pour « Ovni-Levante », l’association de passionnés d’ufologie qu’il présidait. José Manuel, un de ses membres, est particulièrement touché par le décès : Julio et lui avaient un projet secret qui devait changer le destin de l’humanité. Il devra maintenant le mener à bien en solitaire.



Critique :


Dans le paysage provincial espagnol se trouve Elche. Dans cette petite ville industrielle et ouvrière, les habitants semblent délaissés entre un décor infini et l'intensité du travail. Ainsi, quelques personnes trouvent une nouvelle raison de vivre. Ils placent une foi dans le paranormal, notamment grâce à une association de passionnés d'ufologie. Une façon pour eux de s'affranchir de la cruelle réalité, qui n'a plus rien à leur offrir, pour se livrer à un imaginaire sans limite. Le protagoniste José Manuel en fait partie, alternant entre son boulot dans un bar, sa vie de famille, et l'association. Cette navigation entre plusieurs états et contextes se retrouve aussi dans la construction du premier long-métrage de Chema Garcia Ibarra. L'esprit sacré est à la fois une chronique, une tragédie sociale, une satire, du fantastique. Tout cela est ancré dans les décors : dans cette petite ville qu'est Elche, la caméra suit modestement les activités quotidiennes de José Manuel et tous ceux qui l'entourent. Sans aucun effet d'esthétisation, le paysage provincial est authentique, à la lumière naturelle sans aucune extravagance. Mais, dans tout cela, il y a l'égyptologie du protagoniste et de sa mère. Dans les moindres détails de leur logement, tout est dédié à leur passion kitsch pour l'Egypte ancienne. Si bien que le décor se compose de multiples références et sons rappelant la science-fiction.

Copyright Juanma Bernabeu

Cette dure réalité dont ils essaient de s’affranchir, faite de banalités, est une impasse. Cette navigation entre la chronique et la comédie est un jeu entre la fiction et le documentaire. Les personnages ne pouvant se détacher véritablement de leur qualité d'être humain, leur imaginaire est avant tout une série de missions : qu'elles soient individuelles, collectives, ou résumées dans des réunions. Sauf que la réalité sous forme d'impasse est également une illusion. Cette province paraît vivante avec sa grande palette de couleur, mais les rues sont pratiquement vides. Comme si chaque moment est une douceur dans un paysage paisible, alors qu'il n'y a que l'ennui et la sueur du travail. Le décor paraît alors kitsch, autant que l'ufologie des personnages est décalée. C'est dans ce paradoxe que le casting composé de non professionnels prend son sens. Le film est comme une chronique de figures anodines, quasiment sous forme de documentaire, où la fiction (l'illusion, l'imaginaire, le fantastique) vient s'adhérer au réel pour le faire dérailler.

Copyright Juanma Bernabeu

Il y en a la conséquence dès les premières séquences : une des deux nièces de José Manuel disparaît, mais l'enquête est laissée de côté par la narration. Chema Garcia Ibarra se concentre petit à petit sur son protagoniste et ses activités, sur la part de fiction que ces figures ordinaires intègrent dans leur quotidien. La mise en scène dérive, suivant de plus en plus le protagoniste dans la mission qu'il s'accorde (celle de préparer l'événement qui va transformer l'humanité, vers une transcendance). Le cinéaste délaisse les espaces tragiques pour porter José Manuel et son cadre dans des espaces qui convoquent la fiction (l'ufologie, l'égyptologie, de la prospection dans la rue, de l'éloignement individuel vis-à-vis des habitants, etc). Dans l'impasse qu'est le réel, l'illusion est alors permanente. Le fantastique est un masque qui se place devant la réalité, pour que ces personnages en figures ordinaires se projettent une importance (tels des héros de fiction). Malgré l'apport de l'imaginaire dans ce quotidien banal, le masque est très persistant. Si bien que le cinéaste se refuse d'explorer les arcs dramatiques d'un point de vue émotionnel. La tragédie est présentée comme un contexte, mais elle est rapidement désamorcée par le fantastique ou la satire.

Copyright Juanma Bernabeu

Ce n'est donc plus une croyance qui sauve les personnages, mais une obscurité intime qui reste bien trop discrète. En ne voulant pas exposer ce que le fantastique révèle d'une condition ou d'un état d'âme (que ce soit cette obsession pour l'ufologie, voire même l'égyptologie), Chema Garcia Ibarra crée un mélange de tons et de genres sans aucune perspective. L'aventure s'arrête au caractère grotesque des missions, rythmée par des temps morts qui alimentent la chronique. Il y a une réelle mise en lumière d'un paysage social presque abandonné, mais le cadre fixe ne dépasse pas la fonction du portrait photographique. Il y a quelque chose d'absurde, de l'ordre de l'instantané, de l'accablement dans ces plans fixes. Mais ces images ne trouvent jamais le mordant qu'ils ont besoin pour que le fantastique devienne une réelle fantaisie. L'esprit sacré se rapproche davantage de la contemplation d'une chronique, qu'une ironie de la désinvolture fictionnelle. La construction plastique se veut trop sophistiquée, étirant le temps du récit malgré elle. Elle révèle une mise en scène qui ne prend pas vraiment de risque, se contentant de laisser planer une neutralité. Sans jamais réussir à s'en détacher, le film s'aventure lui-même dans une impasse ordinaire : son mélange des genres et de tons ne perce jamais (ou trop tard) le mystère d'émancipation du réel par la fiction.


Teddy Devisme


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