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[CRITIQUE] : Les Crimes du Futur


Réalisateur : David Cronenberg
Acteurs : Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart, Scott Speedman,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Science fiction, Thriller, Epouvante-horreur, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h47min.

Synopsis :
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2022.

Alors que l’espèce humaine s’adapte à un environnement de synthèse, le corps humain est l’objet de transformations et de mutations nouvelles. Avec la complicité de sa partenaire Caprice, Saul Tenser, célèbre artiste performer, met en scène la métamorphose de ses organes dans des spectacles d’avant-garde. Timlin, une enquêtrice du Bureau du Registre National des Organes, suit de près leurs pratiques. C’est alors qu’un groupe mystérieux se manifeste : ils veulent profiter de la notoriété de Saul pour révéler au monde la prochaine étape de l’évolution humaine…



Critique :



Il y a quelque chose d'assez ahurissant dans le fait que bon nombre des critiques et spectateurs ayant pu voir - où non - Les Crimes du Futur, se sont emballés de manière quasi-générique face à l'idée de caractériser le dernier effort en date de David Cronenberg (son premier depuis huit ans), comme une oeuvre testamentaire sur le simple fait qu'elle reprenait quelques-unes de ses obsessions phares du cinéaste - tout en omettant volontairement le fait qu'il avait déjà la tête tournée vers sa prochaine réalisation.
Un tic irritant qui vient d'ailleurs frapper toutes les péloches de Clint Eastwood depuis une bonne dizaine d'années (même s'il est vrai que Cry Macho correspond parfaitement à ce statut de belle oeuvre testamentaire), comme si faire du cinéma impliquait d'avoir une date de péremption vissée sur la caméra, et que tout cinéaste ne saurait plus rien faire une fois qu'il est populairement annoncé comme " trop vieux pour ses conneries ".
En ce sens, il ne faut pas forcément voir cette nouvelle réalisation comme un film-somme de toute une filmographie où même comme une sorte de retour aux sources salvateur, mais peut-être, finalement, comme une évolution, le nouveau chapitre plus intime d'un conteur fantastique qui n'a jamais eu peur de dérouter son monde et ce même s'il fait de son personnage titre, Saul Toser, un alter-égo facile, un artiste qui réfléchit constamment sur lui-même et son art.

Copyright Nikos Nikolopoulos

Contre toute attente, Les Crimes du Futur n'est pas l'oeuvre subversive et insoutenable annoncée par le maître canadien lui-même (une nouvelle ruse à mettre au crédit du film), même si elle marque pleinement son retour dans le body horror savoureusement visqueux et pessimiste, flanqué dans un futur autant en décomposition que peut l'être l'humanité, dont il cultive savamment l'opacité pour mieux en dévorer sa décadence.
Dans sa vision cauchemardesque et hypnotique de l'avenir, l'évolution de l'humanité n'est justement pas totalement humaine, un monde sinistre (ici intelligemment tourné en Grèce, vestige désertique où les ruines de l'ancien monde reposent à quelques mètres de la dévastation du nouveau) où hommes et femmes mutent de l'intérieur, métastasant de nouveaux organes/excroissances qui ont étrangement générés une sorte d'engouement pour l'art de la performance, un chaos qui promet la découverte constante d'un territoire encore inexploré.
Un monde où l'hédonisme est une tare puisque la douleur elle-même est devenu obsolète, et il n'y a rien de plus terrifiant qu'un monde paralysé et sans douleur, et encore plus un monde où le plaisir sans douleur peut créer ses propres déviances et horreurs...
Cryptiquement volubile, Cronenberg revient en douceur à ses premiers amours, citant plus où moins explicitement sa filmographie tout en subvertissant un brin ses habitudes : cette fois-ci, ces envolées gores et fantasques ne définissent pas tant son effort que son penchant loquace pour des tunnels de conversations qui théorisent ses visions torturées plus qu'elles ne les montrent, au point de parfois frustrer.
En ce sens, le rapprochement évident à Crash ne peut se limiter qu'à la psychologie de ses personnages, ses êtres se complaisant dans des plaisirs organiques et autodestructeurs, qui déchirent leurs chairs pour mieux reconstituer leurs corps, faisant évoluer leur désir dans une époque sans douleur.

Copyright Nikos Nikolopoulos

Le désir du spectateur lui, évolue à son tour, ne se retrouvant plus tant dans la jouissance radicale de l'image mais dans celle sonore et de l'aspect loquace de la narration - parfois un brin pédagogique il est vrai -, plongé dans les conversations fascinantes orchestré par un cinéaste qui n'a jamais été aussi habile que lorsqu'il arpente les terres obscures et lumineuses à la fois, de la science-fiction.
Mais derrière ce retour, nostalgique et parfois à la lisière de l'auto-parodie (involontaire), se cache quelque chose de plus conscient qu'un simple esprit de citation/régurgitation où l'hyper-dialogue mâchent les images : une autodérision presque plus déroutante encore que toute envolée organique, une exagération volontaire (jusque dans la partition quasiment en transe d'Howard Shore) et presque schizophrénique d'un Cronenberg qui fouille l'épiderme de son cinéma d'hier pour former celui de demain, moins perturbé mais tout aussi perturbant dans sa manière d'invoquer bien plus le spirituel que le charnel.
Et c'est là finalement où la figure de l'alter-égo du canadien, Viggo Mortensen, plus investi que jamais (tout comme la merveilleuse Léa Seydoux, qui vole continuellement le show et dont la présence rappelle presque celle d'Isabella Rossellini chez David Lynch), revêt toute son importance, celle d'un artiste gourou fasciné par l'immortalité, qui porte - littéralement - son art dans ses tripes, conscient de son influence tout autant qu'il ne se reconnaît pas autant dans son époque, que dans ceux qui cherchent à l'imiter.
Le discours méta sur l'industrie Hollywoodienne n'est jamais loin (mais nettement moins marqué que pour Maps To The Stars), mais c'est une nouvelle fois vers la perversité de l'humanité qu'il s'épanouit le mieux, cette manière facétieuse d'user du genre pour mieux briser les limites autour desquelles notre société prétend être construite.

Copyright Nikos Nikolopoulos

Acte de subversion ultime et libérateur (où nous mangeons ce que nous sommes : du plastique, être impérissable et toxique à la fois) , dans un futur sombre et mystérieux impossible à situer dans l'espace-temps (que vient tromper une esthétique et un cadre savoureusement rétro appuyé par la photo de Douglas Koch, comme s'ils refusaient eux aussi toute idée de futur) le cinéaste use de la chirurgie (qui sauve des vies autant qu'elle sert d'artifice au paraître pour certains) et de la traumatologie comme d'une performance (une sorte de concours vaniteux sur la " beauté " intérieure), sondant la terreur profonde et viscérale de ce que nous pensons connaître et contrôler - notre corps -, face à ce que nous portons réellement à l'intérieur de nous, et ce qui est censé nous définir en tant qu'êtres humains.
Dans une fusion crépusculaire de la chair, de la technologie et de la jouissance du corps, Cronenberg expose authentiquement et sans concessions tous les organes de sa créativité, dissèque son passé pour mieux transcender son avenir et démontrer qu'il faut encore et toujours compter sur lui, même s'il est une certitude que ses plus belles heures sont derrière lui.
Pas une claque, Les Crimes du Futur n'en reste pas moins un beau songe moderne, névrosé, (parfois) dérangeant et précieux, où être immortel est un cauchemar glacial, lancinant et sans passion, comme chez feu le regretté Tony Scott - Les Prédateurs.


Jonathan Chevrier


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