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[FUCKING SERIES] : The Queen’s Gambit : Jouer pour exister


(Critique - avec spoilers - de la mini-série)


Force est d'avouer que lorsqu'une mini-série dramatique dégaine les thèmes plutôt accrocheur de la dépendance, des obsessions et traumatismes divers, sous couvert d'une plongée au coeur du sport (oui) on ne peut plus complexe et difficilement télégénique (cinégénique non plus cela dit) que sont les échecs; il est difficile d'imaginer que le voyage sera passionnant de bout en bout et pourtant, The Queen's Gambit abat avec un aplomb d'enfer toutes nos réticences, pour incarner sans l'ombre d'un doute, l'un des meilleurs moments télévisés de cette (très) perturbée année 2020.
Adaptation du roman young adult éponyme de Walter Tevis, totalement habitée par l'ambition fantastique d'épouser toute la contradiction et l'ambiguïté captivante de son sujet, le show de Scott Frank (déjà derrière la brillante Godless) à l'écrin élégant et classieux des plus grandes séries historiques de récentes mémoires, à tel point que Netflix ne semble jamais avoir produit un projet aussi ambitieux de toute son histoire - avec The Crown.

Copyright Phil Bray/Netflix

Merveilleusement didactique pour le spectateur profane (à tel point que l'on se laisserait presque tenter de s'y mettre... presque), chaque épisodes portant même le nom de phases ou de mouvements dans une partie d'échecs, The Queen's Gambit prend même tout du long les contours d'un match âpre et passionnant, donc chaque épisodes est une phase d'un jeu complet et puissant quand on le regarde dans son ensemble.
S'étalant sur une dizaine d'années mais intercalée entre les 50's et les 60's, le show peut autant se voir comme un grisant drama sportif, une élégante pièce d'époque mais aussi une pertinente étude de personnages, logée dans la zone grise entre le génie et la psychose; totalement vissé sur la brillante et distante Beth (Anya Taylor-Joy, tout simplement parfaite), une femme qui aspire au contrôle total d'un échiquier tout en luttant contre une dépendance écrasante (à des tranquillisants donnés jadis aux enfants comme sédatifs, mais aussi à l'alcool), qui lui permet pourtant justement de déployer ce don quasi-surnaturel, qui fait d'elle une championne.
Orpheline dès son plus jeune âge, fille d'une mère dont la brillance mathématique fut éclipsée par une maladie mentale non traitée et de fortes tendances autodestructrices, Beth apprend l'autonomie et le sens de soi grâce à sa capacité à parcourir les possibilités algorithmiques d'un échiquier, s'enfermant dans le même temps dans une solitude stoïque.

Copyright Phil Bray/Netflix

Bien qu'elle devienne elle-même un modèle pour ses pairs féminins, elle est authentiquement frustrée par la dimension de genre de son époque, tant dans l'Amérique des 60's (et même aujourd'hui), il est férocement compliqué - voire même quasiment impossible - pour une femme de s'extirper de l'image qu'impose une société (faussement) puritaine et conservatrice, et encore quand celle-ci veut faire son trou dans un sport monopolisé par les hommes.
Mais Beth n'est pas n'importe qui, dotée d’une intelligence supérieure à la moyenne, sûre d’elle et joliment ambitieuse, elle va imposer aux forceps ce qu'elle est (et veut être), et faire bouger à sa hauteur, les pièces d'un échiquier globale (la société moderne) qui lui imposera de nombreux sacrifices et de tiraillements intimes (entre lutter contre le syndrome de l'imposteur, la persuasion que son obsession pour le jeu est saine, et la culpabilité de gâcher son talent, une opportunité incroyable pour changer sa vie).
Le show arrive même avec sensibilité et respect, à gérer les errances romantiques de son héroïne, en dépeignant de manière juste les explorations maladroites de Beth sur sa sexualité - sans jamais rabaisser ni ridiculiser son personnage -, ou les matchs d'échecs peuvent presque incarner des préliminaires ludiques et bouillants, n'existant que pour les deux adversaires.

Copyright Phil Bray/Netflix

Démystifiant intelligemment la structure d'un match d'échecs pour le rendre exaltant, The Queen's Gambit prend également un grand soin à dramatiser, de manière incroyablement engageante le gameplay lui-même, qui meme sous le poids de mouvement ultra-rapide, apparaît toujours limpide et clair pour son spectateur - qui est de facto jamais largué par ce qu'il voit -, voire même parfois profondément grisant, notamment dans la manière dont Beth manifeste les échiquiers dans sa psyché, pour anticiper les mouvements.
Formidablement riche et passionnante à suivre, la série est un portrait brillant et poignant d'une femme battante combattant ses dépendances et les limites oppressantes du grand échiquier de la société américaine ou elle était métaphoriquement placée tel un pion impuissant; un génie des échecs qui réalise que cela ne sert à rien d'être une reine, si c'est pour rester seule sur un plateau (la vie) vide.


Jonathan Chevrier 



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