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[CRITIQUE] : La Nuée


Réalisateur : Just Philippot
Avec : Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne, Raphael Romand,...
Distributeur : The Jokers / Capricci
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique.
Nationalité : Français.
Durée : 1h41min.

Synopsis :
Le film fait partie de la Sélection Semaine de la Critique Cannes 2020

Pour sauver sa ferme de la faillite, une mère de famille célibataire élève des sauterelles comestibles et développe avec elles un étrange lien obsessionnel. Elle doit faire face à l’hostilité des paysans de la région et de ses enfants qui ne la reconnaissent plus.


Critique :


Des sauterelles mangeuses d’Hommes poursuivent une petite famille agricultrice dans le premier long métrage de Just Philippot, un film de genre français plus que réussi, label de la Semaine de la Critique 2020.

Copyright The Jokers / Capricci

Alors que le cinéma de genre français commence doucement à s'expandre, La Nuée vient poser les bases d’un tout nouveau modèle de production, de quoi ouvrir les portes aux jeunes talents désireux de porter à bout de bras un cinéma français novateur. Écrit par Jérôme Genevray et Franck Victor, le film est né grâce à la résidence d’écriture So Film, fondée par Thierry Lounas, en association avec le CNC. Pour mettre en scène leur film, ils choisissent Just Philippot, dont le dernier court métrage, Acide, a gagné quelques prix en festival. Suliane Brahim, pensionnaire de la Comédie-Française interprète Virginie, une agricultrice vivant seule avec ses deux enfants Laura (Marie Narbonne) et Gaston (Raphaël Romand). Aidé parfois par son voisin viticulteur, Karim (Sofian Khammes), Virginie s’est mise à l’élevage de sauterelles comestibles, l’agriculture de demain. En plus du côté chronophage de tout élevage, elle n’est jamais rentable malgré son taux d’implication dans son boulot. Jusqu’au jour où elle trouve par hasard la recette miracle pour produire plus. Un engrenage vicieux qui va vite prendre à partie la famille tout entière et les proches voisins.

Copyright The Jokers / Capricci

La force de La Nuée, c’est son ancrage dans la réalité. Le film commence donc doucement à nous présenter les différents personnages, les dynamiques de cette famille mono-parentale. On ne sait pas vraiment si Virginie est veuve ou si son compagnon l’a quittée, mais nous savons qu’elle élève ses deux enfants seule, dans l’ancienne ferme de moutons remaniée en élevage de sauterelles. Virginie a un double enjeu : prouver qu’elle peut s’en sortir seule, avec cette forme d'agriculture dans laquelle elle croit dure comme fer, et ainsi donner une vie plus saine et sereine à ses enfants. Elle doit faire le choix, comme toute mère célibataire, de ne passer que peu de temps avec ses enfants au profit de son boulot, pour permettre à sa famille de sortir la tête des problèmes financiers. Ce côté sacrificiel va être mis en exergue par les différentes péripéties. Tel John Hammond, le célèbre PDG du Jurassic Park, elle devient obsédée par ces petites créatures, jusqu’à l’aveuglement face au danger. Cette obsession, mêlée à une pointe d’orgueil sera fatale : elle crée un monstre, une nuée monstrueuse et dévoreuse, jamais repue. 

Copyright The Jokers / Capricci

Il est d’ailleurs étrange de ne jamais lire le titre du film de Spielberg dans les inspirations des scénaristes et/ou du réalisateur. Take Shelter de Jeff Nichols et Petit Paysan de Hubert Charuel reviennent fréquemment pour leur dimension réaliste. Pourtant, son rapprochement avec Jurassic Park peut être pertinent, au vue de la première séquence de l’attaque de la nuée de sauterelles, dans une camionnette. La mise en scène reprend celle de Spielberg pour créer une angoisse sourde, pris au piège dans un lieu clôt technologique pendant que la nature reprend ses droits. Ces créatures, qu’on associe souvent à de gentils insectes sans défense, deviennent ici des monstres assoiffés de chair humaine. Ce n’est pas tant l’insecte en lui-même que son nombre, des milliers de sauterelles devenant une entité malfaisante, une nuée destructrice. Elles sont envahissantes. Physiquement tout d’abord, quand Virginie comprend par hasard que le sang accroît leur croissance. Elles se multiplient et les dômes où se cachent les nids également. Si en temps normal, cette expansion serait bon signe dans une ferme, ici elle est synonyme de danger. Puis en fond sonore, par leur bruit incessant, surtout la nuit, un chant mortifère. Il faut souligner le travail méticuleux des FX, chapeauté par Antoine Moulineau (Avatar, The Dark Knight), qui transforme cette nuée en véritable fléau macabre. Le film n’est pas avare en gros plan d’insecte, entomophobique s'abstenir.

Copyright The Jokers / Capricci

La Nuée joue habilement sur l’effroi réaliste de la surproductivité, l’ancrant dans un drame social solide où s’ajoute par petite touche l’horreur organique des sauterelles, immense monstre entretenu par le capitalisme.


Laura Enjolvy

 
Copyright The Jokers / Capricci

 
Le cinéma de genre francophone frappe très fort cette année et décide de mettre en avant les (plutôt) oubliés du cinéma français : les ruraux. Petit Paysan (Hubert Charuel) avait ouvert la voie en proposant un objet filmique hybride se permettant des percées dans le film noir, et des scènes à l’imagerie par loin du fantastique. La Nuée s’engouffre dans celle-ci et nous propose un film qui ose allier naturalisme hyper réaliste et body horror percutant, le tout parsemé de scènes à l’ambiance vibrante et hors du temps. l’ensemble donne un propos sociétal et écologique très clair qui fonctionne notamment grâce à l’implication de ses actrices et acteurs , Suliane Brahim et Marie Narbonne en tête. 

Copyright The Jokers / Capricci

La sautillante sauterelle verte et rigolote qui accompagne les souvenirs de vacances estivales de nombreux péquins prend ici un tout autre visage - celui du vampire microscopique assoiffé de sang filmé en macro - quand elle ne le perd pas carrément pour devenir la nuée du titre et prendre des allures de fléau punitif, pourtant annoncé par de nombreux scientifiques et écologistes. Impossible de ne pas penser à l’actualité, à cette nature qui reprend ses droits, pendant le visionnage du film. La sauterelle du film n’est pas un virus planétaire mais l’idée n’est pas si éloignée. Et le film expose bien la responsabilité humaine et les dérives de notre société capitaliste sur notre environnement. Et disons-le, cela fait, paradoxalement, un bien fou à regarder. 
Si le film s’ancre très profondément dans une réalité, celle de la précarité des agriculteurs, il n’oublie pas d’instaurer toute une réflexion qui dépasse le trivial pour faire à la fois une plongée dans le psychée de son personnage principal, tout autant mère sacrificielle que femme qui souhaite aller au bout de ses ambitions, et une fable écologique aidée par cette photographie soignée et lumineuse. Ces plans voilées dans les bulles et le jeu de lumière subtil allant avec resteront collés à vos rétines. 

Copyright The Jokers / Capricci

Just Philippot nous propose un premier long-métrage très abouti qui, je l’espère, saura trouver son public malgré des conditions de sorties plutôt chaotiques. Je ne peux que vous encourager à aller voir ce film. Cette bizarrerie dans le cinéma français pourra, espérons-le, inspirer d’autres réalisatrices ou réalisateurs à suivre ses pas, que ce soit dans le genre horrifique ou dans l’exposition d’un propos écologique.


Éléonore
 

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