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[CRITIQUE] : Lara Jenkins


Réalisateur : Jan-Ole Gerster
Acteurs : Corinna Harfouch, Tom Schilling, André Jung, Volkmar Kleinert, Rainer Bock,...
Distributeur : KMBO
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Allemand
Durée : 1h38min

Synopsis :
Comme tous les autres matins, Lara débute sa journée par une cigarette et une tasse de thé. Aujourd'hui est un jour important : elle a 60 ans et c'est le premier concert de piano donné par son fils Viktor. Elle le soutient depuis ses débuts et se considère comme déterminante dans son succès. Mais Viktor est injoignable depuis des semaines et Lara semble ne pas être conviée à l'événement, contrairement à son ex mari et sa nouvelle compagne. La journée va alors prendre un tour inattendu.



Critique :

Pour son deuxième long-métrage, Jan-Ole Gerster, à l’instar de Oh Boy sorti en 2013, reprend la formule du film se passant en une journée avec Lara Jenkins. Un concours de circonstance. Le scénario écrit par Blaž Kutin prend la poussière depuis une dizaine d’année. Pourtant, le script du scénariste slovène est connu dans le cercle restreint du cinéma, faisant partie du Torino Film Lab, la célèbre bourse du festival de Turin. Après l’avoir lu, le cinéaste allemand décide de transférer l’histoire, se passant initialement dans la ville de Ljubljana, à Berlin. Nous y suivons pendant toute une journée, une femme, personnage éponyme du titre, de son réveil à son coucher, menée par le récital composé par son propre fils, climax dans la vie de Lara, autant que pour le film.



Lara se lève avec l’envie d’en finir. Le jour de ses soixante ans, le jour du concert de son fils Viktor, auquel -on le comprendra assez vite, elle n’est pas conviée. Mais rien ne se passe comme prévu. La sonnette : des flics venus lui demander d’être témoin d’une perquisition dans son immeuble. À partir de ce moment, elle quittera son appartement la journée entière. Dès les premières minutes, la vie de Lara nous paraît vide. Impression renforcée par les choix de cadrage, qui la met toujours de côté, avec beaucoup d’espace qui la sépare de l’autre bord du cadre. Un espace peu comblé par une autre personne, ou si personne il y a, elle ne reste pas longtemps. Est-ce parce que c’est Viktor qui prend cet espace ? Ce personnage, absent physiquement une bonne partie du film, est pourtant omniprésent. Sa journée lui est dédiée : achat des places restantes pour que son concert soit complet, d’une robe de cocktail. Appels constants, qui restent sans réponses. À chaque visite qu’elle fait, elle tente de donner un ticket du concert : à son voisin, à ses anciens collègues, à sa mère, même à des inconnus croisés par hasard. Pourquoi refuse-t-il de voir cette mère, qui a l’air de se mettre en quatre pour son fils, pourquoi est-elle mise de côté par Viktor, par son ex-mari et même sa propre mère ? Si Lara nous paraît froide, distante, mérite-elle ce rejet ?



Le cinéaste nous met pourtant sur la voie. Sa façon de ne pas respecter les barrières. S’introduire sans autorisation dans son ancien bureau, reprendre la leçon de piano d’un petit garçon, qu’elle ne connait pas, pendant la pause, s’introduire dans la chambre de Viktor, chez sa mère et lire sa partition, qu’il a composé pour le concert, Lara ne respecte ni l’intimité, ni l’intégrité des gens qui l’entourent. Elle ne contrôle pas sa frustration non plus, comme le montre la scène où elle rencontre la petite-amie de Viktor (dont elle ne connaissait pas l’existence jusqu’alors), où elle profite de sa brève absence pour lui casser son archet de violon. Comme si elle voulait casser le lien qu’elle a avec son fils, la musique, alors qu’elle-même ne partage plus rien avec lui. Puis vient le moment de la confrontation. Le vide en face d’elle est enfin comblé, par ce fils qui n’est enfin plus une chimère, mais un être de chair et de sang. Un être qu’elle s’amuse à faire douter par ses mots, plus puissants que des balles. Alors qu’il lui demande son avis sur sa musique, elle le complimente tout d’abord, pour ensuite lui asséner un flot de reproche, quelques heures avant sa première. Des mots qu’elle clame, alors que son visage reste de marbre. Et le spectateur comprend. Il comprend soudain la complexité de leur relation, la tension, le rejet, l’amour, la haine, entre ces deux êtres qui pourraient être liés par des relations fortes, filiale évidemment, mais par la musique aussi, le piano, instrument qu’ils savent tout deux apprécier.



Le piano est un autre fantôme qui suit Lara. Dans l’appartement de son voisin, où un policier décide de massacrer la Lettre à Elise de Beethoven, chez sa mère, où elle est attirée par lui, mais elle n’ose le toucher. Puis chez elle à la fin, où il ne reste que le fauteuil, qui sert maintenant de repose-plante. Elle a eu l’ambition autrefois, l’ambition de devenir ce que son fils s’apprête à faire, un musicien dont le talent est reconnu et qui fait salle comble. La jalousie, la frustration étouffent Lara, qui peine à sortir une phrase entière quand elle parle à quelqu’un, à part pour libérer sa verve. Elle détonne avec son manteau rouge brique, avec sa tenue bleue profonde, quand les autres autour d’elle portent des couleurs neutres, pastels, douces. Elle ne peut s'harmoniser avec personne, Jan-Ole Gerster a l’intelligence de rendre cela perfectible visuellement avec son choix précis des couleurs. La musique aussi ne s’accorde jamais d’une scène à l’autre. Lara est entourée de silence, de morceaux massacrées ou de la chanson de France Gall, “il jouait du piano debout”, une chanson entraînante, qui brave le silence et la froideur du personnage. La musique classique se mélange avec de la techno assourdissante le plan suivant. Que veut vraiment le personnage ? Se réconcilier avec son fils ? Prendre sa place ? On ne sait pas vraiment.



Lara Jenkins va plus loin pour s’interroger sur l’ambition et surtout sur la peur de l’échec. Viktor est perclus de doute quand il rencontre sa mère avant le concert. Car il en faut du courage pour se dévoiler de la sorte, de s’exposer à la critique et de dévoiler une création, notre création, qui est sortie de nos tripes et de la déposer sur un plateau. Courage que n’a jamais possédé Lara, qui a préféré s’enfoncer dans une relation toxique et amère, avec ce qu’elle a pourtant créé malgré tout : son fils, Viktor. Alors que le cinéma déborde de ce thème sur le lien entre obsession et musique (le cinéaste avoue s’être imprégné du film de Bergman, Sonate d’automne), alors qu’un film similaire, L’Audition réalisé par Ina Weisse est sorti il y a quelques mois à peine, Jan-Ole Gerster arrive à pondre un film innovant et surtout prenant, mené d’une main de maître par l’actrice Corinna Harfouch, dont le regard de glace nous fusille. La tension est si palpable que nous arrêtons de respirer, et quand Lara se délivre enfin, dans la dernière scène, nous respirons de nouveau, avec elle.


Laura Enjolvy



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