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[CRITIQUE] : Ma Vie avec John F. Donovan

 

Réalisateur : Xavier Dolan
Acteurs : Kit Harrington, Jacob Tremblay, Natalie Portman, Susan Sarandon, Thandie Newton, Kathy Bates, Michael Gambon, Ben Schnetzer, Emily Hampshire,...
Distributeur : Mars Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Canadien.
Durée : 2h03min

Synopsis :
Dix ans après la mort d’une vedette de la télévision américaine, un jeune acteur se remémore la correspondance jadis entretenue avec cet homme, de même que l’impact que ces lettres ont eu sur leurs vies respectives.



Critique :


Le premier long-métrage en terre US du génie Dolan se faisait tellement attendre que l'on désespérait même de le voir un jour en salles, la faute à une gestation douloureuse (deux ans de montage intense, qui a notamment eu raison du rôle de Jessica Chastain) mais aussi et surtout à un accueil critique plus que glacial lors du dernier TIFF.
Mais Ma Vie avec John F. Donovan a la peau dure, et ce n'est décemment pas la seule qualité, loin de là même, qui peut décrire ce nouveau film, énième preuve vibrante que Xavier Dolan est un véritable artiste qui, selon toute vraissemblance, ressent les choses plus intensément que la majorité d'entre nous et qui continue, oeuvre après oeuvre, à mettre à nu son âme sur la pellicule, quelle que soit la dureté de ce qu'elle a à lui dire et surtout, à nous dire.



Et cette péloche en dit beaucoup sur le cinéaste, plus même que la majorité de ses précédents essais, et certainement bien trop pour certains - pas forcément ses détracteurs de la première heure -, car plus que quiconque, soit on aime Xavier Dolan passionnément, soit on le déteste et ici, soit on aime Ma Vie avec John F. Donovan... soit on le déteste.
De manière totalement improbable sur le papier à la vue de l'implication imposante de son auteur, The Death and Life of John F. Donovan est sans doute l'oeuvre la plus " accessible " et sage du Xavier, sorte de prolongement totalement imaginaire de ce qu'il aurait rêvé être la réalité : entretenir une relation épistolaire avec son idole, l'acteur Leonardo DiCaprio (il lui a écrit enfant, mais le comédien ne lui a jamais répondu).
En partant de ce non-évènement, visiblement non digéré même plusieurs décennies plus tard, il nous plonge dans un solipsisme absolu - à la limite de l'expérience profondément étouffante, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme - en croquant une ode puissante sur l'impact des films et des idoles/héros sur la constitution de nos identités, autant qu'un portrait douloureux sur une personnalité brisée attirée par une profession qui rejette ce qu'il est réellement, et dont le suicide (montré dès les premières minutes) mais aussi la relation intime qu'ils ont su construire au fil de lettres, a incité un jeune acteur à embrasser sa propre homosexualité.



Par le prisme de deux portraits enlassés dans une temporalité et une tonalité qui lui est propre (une multitude de bouts de récits tissés entre eux pour mieux former une double biographie qui sera conté sur papier par un tiers - une journaliste réticente puis fascinée), et liée par une correspondance secrète et profondément innocente - presque irréelle au fond, et qui ne laissera rien transparaître de son contenu -, dont les répercussions se dillueront sur plusieurs années, le metteur en scène laisse exploser une nouvelle fois les obsessions qui le hante.
Des relations mère/fils belles mais conflictuelles (et double ici, avec Rupert et sa mère ainsi que Donovan et la sienne) aux amours vibrants mais impossibles en passant par la solitude viscérale et dévastatrice, tout en offrant une image totalement destructrice du star-système (qu'il égratigne à tous les étages), comme rarement ce fut le cas sur grand écran, en fustigeant le puritanisme d'Hollywood et même plus directement, de l'Amérique et de la société contemporaine où l'uniformisation est le maître mot.
Avec élégance et une sincérité sans bornes, il conte la détresse immense d'un homme solitaire coincé par sa popularité immense, un comédien obligé de traiter sa propre image publique comme un rôle dont il ne peut se défaire (il ne peut pleinement affirmer son homosexualité), tout en y accolant celle plus colorée du destin moins tragique mais tout aussi intimidant et cruel des enfants acteurs (autant dans leur rapport à l'industrie qu'avec leurs parents, souvent égoïstes et cupides), via un gamin qui deviendra plus tard jeune homme (l'alter-égo à l'écran de Dolan) et pour qui les oeuvres de son idole est un véritable refuge, à tel point qu'il se nourrira du poids qu'elles comportent et du sacrifice de son ainé, aussi douloureux que cela puisse paraître, pour s'affirmer tel qu'il est.



Esthètiquement renversant, rappelant dans sa forme le formidable Laurence Anyways (son plus beau film, tout simplement) avec lequel il partage quelques moments de cinéma proprement grandioses (notamment la " réconciliation " sous la pluie entre Rupert et sa mère, sous fond de Stand By Me), volontairement plus consensuel sans forcément laisser de côté la pureté de ses émotions, Ma Vie avec John F. Donovan, vrai film d'acteurs et d'actrices (Kit Harrington - dans son plus beau rôle -, Jacob Tremblay et Susan Sarandon sont absolument parfait, Natalie Portman n'est pas en reste non plus et on regrette le temps de présence limité de l'immense Kathy Bates), est un beau et sensible poème sur pellicule, bouleversant aussi bien dans sa justesse que dans sa démesure, sorte de vrai/faux film somme assagi et - heureusement - imparfait (on pourra tiquer sur quelques longueurs, quelques petites incohérences ou même quelques dialogues pas toujours inspirés) mais pas moins pertinent dans son fond comme dans sa forme - et qui pousse à la réflexion même longtemps après vision -, et surtout incroyablement authentique de bout en bout tant le cinéaste ne renie jamais son cinéma, même sur des terres où la marginalisation est trop rarement tolérée par l'industrie.
Un bijou de densité, d'humanité et d'universalité, rien de moins, et on donnerait déjà beaucoup pour voir l'oeuvre dans son entièreté, puisque le montage initiale frôlerait les quatre heures, soit deux de plus que celui-ci, déjà exceptionnel et immanquable.


Jonathan Chevrier

 

Après une quasi-décennie passée dans le confort de son Canada natal, Xavier Dolan se donne avec Ma Vie avec John F. Donovan une nouvelle envergure. Premier film en langue anglaise, alignant un casting hollywoodien et doté d’un budget XXL, le projet se forgeait, avant même le début du tournage, l’image d’une belle audace. Pourtant, au bout du compte, Ma Vie avec John F. Donovan aurait été un douloureux processus, les premiers bruits du TIFF laissés penser que Dolan avait loupé le coche. C’est donc forcément craintif que je suis entré dans la salle, pour en ressortir la gorge nouée.
N’épiloguons pas, si Ma Vie avec John F. Donovan n’est pas le meilleur Xavier Dolan, il se déploie pourtant comme l’œuvre la plus intime — et donc précieuse — du cinéaste. Dans un récit indéniablement romanesque, Dolan fait de ses personnages des miroirs de lui-même. Le jeune Ruppert (Jacob Tremblay formidable) c’est lui devant la télé, petit, s’extasiant face à Leonardo Dicaprio ; là où le Ruppert adulte (Ben Schnetzer) joue de l’image d’arrogance qu’on lui prête, lui qui n’est que sincérité, même John Donovan (Kit Harrigton surprenant) dans sa boulimie de travail rappelle le cinéaste.


Mais, Dolan a mûri, ce qui lui permet d’éviter l’écueil du film nombril, autrement dit passant son temps a s’admirer sans rien donner. Plus encore, le réalisateur canadien poursuit une mue enclenchée depuis Laurence Anyways, délaissant les effets de style, l’image gagne en noblesse et se fait plus directe, moins artificielle. Néanmoins, il garde une affection profonde pour l’habillage musical qui ici encore donne lieu à quelques magnifiques scènes dans une générosité toute Dolanienne.
Dans le fond, Ma Vie avec John F. Donovan apparaît comme une anthologie des thématiques irriguant les œuvres du cinéaste. Homosexualité, relation à la mère, harcèlement scolaire, les amours impossibles, mais tout cela se dilue dans de nouvelles explorations, la vertu des idoles, la broyeuse hollywoodienne pourtant usine a rêve. C’est ici que l’apparat américain du film prend fin. Dolan ne se renie pas, son regard sur ce cinéma se fait méticuleusement nuancé, au détour d’un dialogue il critique un Hollywood abrutissant les spectateurs, peu avant il faisait déambuler John sur les plateaux de tournage seul lieu ou il se sent bien. Comme les allers-retours entre les époques, Ma Vie avec John F. Donovan alterne en permanence entre répulsion et fascination.
Au milieu de tout cela, Dolan nappe son film d’une lueur d’étrange. Le mystère autour de cette correspondance, mais aussi l’une des dernières scènes du film, alors que John Donovan écrit il est interrompu par un vieil homme campé par Michael Gambon. John s’étonne de ne jamais l’avoir vu, à ce moment-là, on vient à douter de la présence de cet homme. D’une manière bien malicieuse, ce dernier, vient avec une petite leçon de vie digne du personnage autrefois incarné par Gambon, Albus Dumbledore. Heureux hasard ?


On ressort de Ma Vie avec John F. Donovan un brin chamboulé, parce que Dolan livre un film ambitieusement intime. S’extirpant de son microcosme — sans le renier — il exhorte les vertus des idoles, tout en faisant de la gloire une amie toxique. Il emporte dans le souffle romanesque de son histoire, émerveille au point de nous faire oublier ses défauts de structure.

Thibaut Ciavarella


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