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[CRITIQUE] : Les Frères Sisters


Réalisateur : Jacques Audiard
Acteurs : Joaquin Phoenix, John C. Reilly, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed, ...
Distributeur : UGC Distribution
Budget : -
Genre : Western
Nationalité : Américain, Français
Durée : 1h57min

Synopsis :
Charlie et Elie Sisters évoluent dans un monde sauvage et hostile, ils ont du sang sur les mains : celui de criminels, celui d'innocents... Ils n'éprouvent aucun état d'âme à tuer. C'est leur métier. Charlie, le cadet, est né pour ça. Elie, lui, ne rêve que d'une vie normale. Ils sont engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme. De l'Oregon à la Californie, une traque implacable commence, un parcours initiatique qui va éprouver ce lien fou qui les unit. Un chemin vers leur humanité ?



Critique :

Jacques Audiard nous a habitué au drame intimiste, souvent sélectionné au Festival de Cannes (il a même remporté la Palme d’Or en 2015 avec Dheepan). Pourtant cette fois pas de Romain Duris, pas de Marion Cotillard mais Joaquin Phoenix et John C. Reilly, jouant deux frères en Oregon dans les années 1850. Adaptation du roman éponyme écrit par Patrick De Witt, Les Frères Sisters a tout du projet pouvant marqué cette rentrée cinématographique, avec son casting de rêve, sa photographie sublime entrevue dans les bande-annonce (signé par le talentueux Benoit Debie) et le fait que ce soit le premier film en langue anglaise pour le réalisateur français. Un défi de taille.
Le genre du western renaît parfois de ses cendres à Hollywood, avec des films crépusculaires, mais ancrés par les codes du genre depuis une quinzaine d’année. Pour rendre hommage ou questionner la place du western dans le cinéma contemporain, le western semble s’auto-analyser de film en film. Il est donc difficile de montrer de l’originalité, surtout quand on a un style tout à fait différent à la base comme Jacques Audiard.



Le projet aurait pu être une calamité totale, malgré la jolie photographie, mais il n’en est rien. Car Audiard réussit haut la main à s'approprier le genre pour exploser nos repères petit à petit. L’histoire de base ressemble à du western connu : deux frères mercenaires (Joaquin Phoenix et John C. Reilly), travaillant pour un homme riche (le Commodore). Ils doivent retrouver un homme (Riz Ahmed), le torturer et le tuer, à l’aide d’un détective (Jake Gyllenhaal). Evidemment, les mercenaires ne sont pas les seuls à rechercher l’homme en question, prétexte à quelques scènes de fusillade. Sauf que Les Frères Sisters ne va jamais vraiment là où on l’attend. Le film est monté sur la dualité de deux duos : les frères Charlie et Eli d’un côté, Morris le détective et Hermann l’homme recherché de l’autre. Si Charlie et Eli ressemble à de véritable mercenaire de prime abord, le film montre tout le long qu’ils sont beaucoup plus doux et tendres qu’il n’y paraît.
Plongé dans la violence à cause de leur père, ils sont convaincus de ne savoir manier un revolver et rien d’autre. Un rapport de force complexe uni les deux frères, Charlie le cadet est au commande mais perd parfois la tête et se plonge dans l’alcool, tandis que Eli se borne à protéger son petit frère et à rêver d’une vie plus tranquille.



Si les deux hommes sont barbares pendant les fusillades, ils ressemblent parfois à de petit garçons qui ne savent pas comment sortir de l’engrenage de violence. Et le film les met en parallèle face à un autre duo, tout à fait différent. Si Morris est d’abord du côté du méchant Commodore, il change vite son fusil d’épaule quand il apprend que Hermann se fera torturer par sa faute. Les deux hommes sont honnêtes, intelligents, érudits (l’un est scientifique, l’autre un homme de lettre) et sont surtout idéalistes de fonder une société sans violence. Tout le contraire des Sisters.
Mais au lieu de rester sur un ton manichéen, les méchants garçons contre les gentils, Audiard les réunit, pour mieux démontrer leur ressemblance. Le véritable méchant est bel et bien le Commodore, figure de l’homme cupide et affamé d’argent. Si Jacques Audiard avait du mal à gérer plusieurs arcs narratifs dans ces précédents long-métrages, cette fois-ci il réussit à merveille à passer de l’un à l’autre, lui permettant de brosser ainsi une Amérique en pleine essor, mais avide de sang. Le scénario solide devient un conte funèbre, où l'émotion pointe le bout de son nez là où on ne l’attendait pas.
Les Frères Sisters est peut-être le film le plus tragique et glaçant de son réalisateur, mais aussi le plus réussi. Grâce à la finesse et à l’originalité de son propos, le film est un solide western brutal, impitoyable aussi bien qu’il est chaleureux et émotionnellement fort.


Laura Enjolvy





Conte social et noir façon vigilante movie clairement inédit pour le cinéaste (que ce soit dans la culture de ses personnages titres ou son unité de lieu limité) mais assez mineure et simpliste comparé à la maestria de ses précédents essais, critique moins percutante d'une France déchirée par ses inégalités et sa violence avancée que celle assassine de l'univers carcéral de son sublime Un Prophète, étouffant tout en étant cruellement dénuée d'émotion et de véritable psychologie (il omet même de creuser plus profondément certains détails pourtant cruciaux de son intrigue); Dheepan, déjà western - urbain cela dit -, nous avait laissé un sacré gout d'inachevé au moment de sa sortie dans les salles obscures, à la fin de l'été 2015 (après avoir chipé rien de moins que la Palme d'Or).
Une petite déroute au sein de la filmographie pourtant pétrie de qualité d'un Jacques Audiard que l'on rêvait donc retour en pleine forme pour son prochain essai, Les Frères Sisters (et adaptation du roman éponyme de Patrick De Witt) qu'il aurait mis trois ans à concocter.Et à la vue de son casting XXL (John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed), on ne peut pas vraiment dire que le bonhomme n'a pas su soigner son retour.



Pur western en puissance (il en suit tous les codes avec un respect sans bornes), pour lequel il ne renie ni l'aspect violent et crépusculaire du genre magnifié et célébré par les rois John Ford et Sergio Leone (et dont le formidable Hostiles de Scott Cooper, est le dernier et fidèle héritier), ni la singularité et l'aspect intimiste qui fait le sel de son propre cinéma, Audiard s'empare avec force de l'un des genres les plus exigeants du septième art, pour en faire un sommet de cinéma intime, épique et d'une mélancolie déchirante, s'autorisant même parfois quelques embardés drolatiques aussi étonnante que salvatrices.
Une sublime odyssée apocalyptique et existentielle littéralement hors des sentiers battus, articulé autour de la relation complexe de deux frangins (dont le rapport de forces est constamment bousculé) et de leurs proies, eux aussi totalement différents l'un de l'autre, mais diablement complémentaires; personnages avec lesquels Audiard s'amuse autant à jouer avec les clichés faciles (les Sisters ne sont pas que barbares, Morris et Hermann ne sont pas que de simples proies, ils sont lettrés et très intelligents), que les figures qu'ils représentent, de mythes dans l'histoire des fondations de l'Amérique et de sa terrible ruée vers l'or.



Fable hallucinée jouissivement brutale et amorale (le mal et la mort y sont presque banalisés comme rarement) façon chevauchée sauvage haletante et tragique esthétiquement sublime (le grand Benoît Debie à la photographie), au sein de laquelle le cinéaste retrouve tous les thèmes qui lui sont chers (les liens du sang, la cupidité, la quête d'in idéal impossible,...) et dirige un casting en tout point impliqué et grandiose; Les Frères Sisters s'impose autant comme un nouveau portrait glaçant et nihiliste de la nature humaine, et rien de moins que l'un des meilleurs films de son cinéaste, à qui le désert aride des contrés violentes de l'Amérique d'hier (et d'aujourd'hui ?), aura fait cruellement du bien.


Jonathan Chevrier


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